Le vrai coût environnemental du numérique
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Préparée sous la direction de NegaOctet, l’étude commandée par les Verts/ALE au Parlement Européen est une analyse du cycle de vie des technologies numériques en Europe. Elle est le fruit d’une approche inédite, tant sur l’échelle concernée que sur la méthode employée.

À l’aune d’une Présidence française de l’Union européenne (PFUE) placée sous le signe du numérique, il s’agit d’un travail indispensable pour les mois à venir : alors que l’empreinte environnementale du secteur numérique n’est devenue que récemment sujet de débat public, cette étude fournira les outils nécessaires pour nous permettre d’agir sur ce regrettable angle mort.

Notre modèle dit de développement et la société de consommation qui l’accompagne révèlent peu à peu ses externalités négatives. La civilisation du fossile qui est la nôtre depuis la révolution industrielle a généré et génère encore d’incalculables impacts sur l’environnement : extraction et usage de matières premières, destruction de milieux naturels, dérèglement climatique, dégradation de nos ressources en eau, conséquences sanitaires, etc.

Dans ce contexte, une nouvelle « révolution » économique, technologique et sociale est en cours. C’est celle du numérique. Si les possibilités permises par le numérique peuvent faire rêver, il est nécessaire de pouvoir objectiver les impacts de ces technologies sur l’environnement. Car, derrière la chimère d’un numérique durable par « nature », dont les applications pourraient faire disparaitre par magie les risques environnementaux auxquels notre civilisation est confrontée, il y a le réel des impacts matériels induits par ce secteur.

Le niveau européen est le bon échelon pour avoir un impact et être à la hauteur de cet enjeu. Face au modèle totalitaire chinois et à celui des GAFAM, l’Union européenne doit promouvoir une troisième voix qui respecte les droits humains et sociaux, les libertés individuelles, la transparence des pratiques commerciales et la préservation de l’environnement.

De nombreux textes européens sur la table des négociations dans les premiers mois de 2022 seront clefs pour embrayer le changement nécessaire à la transition pour un numérique durable.

Il sera déterminant que la Présidence Française de l’Union Européenne qui s’ouvre au 1er janvier 2022 porte le niveau d’ambition nécessaire à l’avènement d’un numérique durable.



Comment marche cette étude ?

Types de technologies :

3 types sont prises en compte :

  • les appareils, c’est à dire les objets des particuliers (les terminaux utilisateurs)
  • Les datas centers (les centres de données)
  • Les réseaux (antennes, fibre, 5G, etc)

les nuisances mesurables :

Parmi toutes les nuisances mesurables – tous les impacts écologiques – induits par le secteur du numérique, les huits plus importants ont été retenus. Ils représentent 80% de l’empreinte environnementale du numérique :

  • Utilisation des ressources, minéraux et métaux
  • Utilisation des ressources fossiles
  • Acidification
  • Ecotoxicité, eau douce
  • Changement climatique
  • Radiations ionisantes, santé humaine
  • Émission de particules – Apparition de maladies
  • Formation d’azote photochimique – santé humaine

étapes du cycle de vie :

Enfin, 4 étapes du cycle de vie du numérique ont été analysées pour mesurer leurs impacts sur l’environnement :

  • La fabrication
  • Le transport
  • l’usage
  • la fin de vie

Quels sont les constats ?

L’étude pose clairement le constat que le numérique a un coût écologique considérable pour les ressources de notre planète et que ni la fuite en avant actuellement en cours, ni même le statu quo, n’est envisageable.

  1. Parmi les 8 nuisances quantifiables étudiées, les 3 qui totalisent à elles seules plus de 50% de l’ensemble des impacts écologiques sont : Les ressources en minerais et en métal (23% de l’emprunte environnemental total du numérique), l’utilisation de ressources fossiles (17%) et le changement climatique (16%).
  2. Environ 2/3 de l’impact environnemental du numérique est imputable aux objets connectés pour les usagers, c’est à dire à l’ensemble des terminaux que nous achetons et que nous utilisons en tant que particulier.
  3. C’est la fabrication des appareils pour les utilisateurs particuliers qui représente l’impact environnemental le plus important. 100% des nuisances relatives à l’utilisation des matières premières et des métaux se situent à cette étape, 40% pour le changement climatique et 30% pour l’usage de fossile.
  4. L’impact actuel du numérique en Europe équivaut déjà à 40% du budget carbone européen disponible pour rester sous le seuil de réchauffement de 1,5°C.
  5. Le numérique en Europe consomme 10% de notre électricité.

Les résultats de l’étude corroborent d’autres études et d’autres constats déjà connus. La transition écologique ne peut être compatible qu’avec un modèle numérique plus sobre que celui actuellement mis en œuvre. L’Union européenne doit utiliser ses pouvoirs économique et règlementaire pour établir des standards internationaux alignés avec nos impératifs environnementaux.

Quelles sont les conclusions ?

1/- Il nous faut passer d’un modèle de surproduction du numérique à un numérique durable

Aujourd’hui, le business modèle des entreprises du numérique repose sur un renouvellement constant et rapide des équipements numériques. Les consommateurs sont poussés vers l’achat des dernières innovations en date. Aux stratégies marketing agressives s’ajoutent des pratiques d’obsolescence prématurée : les produits ne sont pas conçus pour être aussi durables qu’il leur serait possible de l’être. Cela passe à la fois par l’utilisation de matériaux et par un design des appareils plus fragiles, par le fait de rendre compliquées et coûteuses les réparations, et par l’évolution logicielle rapide qui finit par rendre inutilisable des appareils en parfait état matériel.

Or, c’est la production de nouveaux appareils qui impacte le plus l’environnement : faire du renouvellement prématuré des équipements le cœur d’un business model n’est pas soutenable.

En plus de la durée de vie limité des objets connectés, la multiplication de ces objets constitue une menace pour l’environnement.

Ce qui est mauvais pour la planète l’est aussi pour les consommateurs : le fait de devoir constamment renouveler ses équipements et d’en multiplier le nombre représente une charge économique pour les ménages.

Quelle alternative ? Passer de l’innovation matérielle à l’innovation logicielle. L’idée serait d’investir dans des équipements qui sont véritablement conçus pour durer et d’innover dans le modèle logiciel. Nous devons remettre en cause les logiques propriétaires qui veulent que le producteur du matériel ait le monopole de la production de logiciel.

Limiter les infrastructures qui impliquent la multiplication des objets connectés. Développer les logiques « low tech ».

2/- Il nous faut prendre nos décisions numériques européenne à l’aune de leur impact environnemental

Nous ne parviendrons pas à un numérique durable avec des mesures ponctuelles à la marge qui ne remettent pas en question les infrastructures numériques telles qu’elles sont conçues aujourd’hui et les usages qu’elles impliquent. Il nous faut conditionner l’innovation numérique à sa plus-value sociale et environnementale.

Nous devons garantir le recueil et le partage des données environnementales du numérique. Celles-ci doivent être au cœur de notre prise de décision. Cela suppose d’instaurer une collecte et un partage obligatoire des données par les constructeurs et les revendeurs.

Nous devons établir un affichage obligatoire de la performance environnementale des produits et services numériques pour que les consommateurs soient en mesure de consommer en connaissance de cause.

Nous devons établir des critères et des objectifs obligatoires de durabilité dans les achats publics.

Nous devons conditionner l’attribution d’argent public et le potentiel d’innovation au respect de nos objectifs environnementaux

3/- A travers la question du numérique durable se joue la question de notre autonomie stratégique et de notre résilience

Les ressources matérielles utilisées par les technologies numériques sont les mêmes qui sont nécessaires à la transition écologique.

  Nous dépendons aujourd’hui exclusivement des pays d’Asie pour les matériaux ainsi que la production de nos appareils, et nous perdons des ressources extrêmement précieuses dans l’export illégal de déchet électroniques.

Nous ne pouvons nous permettre de continuer sur la ligne d’un gâchis perpétuel de nos ressources si nous souhaitons continuer à bénéficier des bienfaits des technologies numériques.

L’Union européenne peut devenir le leader en durabilité des technologies numérique, établir de nouveaux standards et investir massivement dans sa capacité à remettre en valeur les matériaux, à la fois à travers la seconde main et la réparation, mais également via le recyclage des matériaux pour leur donner une seconde vie.