Stopper les GAFAM : un impératif écologique, économique et démocratique
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Exposé des motifs

L’émergence du web a marqué un tournant dans nos modes de vie, d’échange et de consommation. Il a permis de multiplier les échanges d’information, les accès à la connaissance et au partage des savoirs. Il a fait naître l’espoir de permettre à la démocratie de devenir plus accessible et plus directe. Il a également fait émerger des modes de consommation alternatifs et permis de faire fleurir certains pans de l’économie collaborative : location de vêtements, achat de paniers alimentaires de proximité, mise en relation de particulier à particulier pour partager des outils, des véhicules, revendre facilement des objets de seconde main, etc. Internet continue à changer radicalement notre rapport à la consommation de biens et de services : en quelques clics et à toute heure, on peut désormais comparer les prix, passer commande, réserver un billet de train ou d’avion, louer un appartement de vacances à un particulier, commander à manger, demander un acte de naissance, gérer un compte bancaire, remplir un dossier de départ à la retraite, déclarer ses impôts etc.

Cette simplicité a cependant un coût pour l’environnement. Derrière chaque commande virtuelle passée sur le site d’un géant du web, comme Amazon, il y a un maillage formel de routes, de voies ferrées, d’entrepôts dévoreurs d’espaces, d’énergie et de ressources naturelles. Il y a un réseau dense et complexe d’antennes, de câbles, des centres de stockages de données informatiques, toujours plus nombreux, toujours plus grands. Derrière chaque commande, il y a une précarisation croissante des emplois, une remise en cause méthodique des réglementations, et en particulier du droit du travail. Il y a une virtualisation déshumanisante des rapports des consommateur.trice.s avec les product.eur.triice.s. Il existe enfin de véritables risques pour le fonctionnement démocratique et la sécurité de nos sociétés.

À l’échelle planétaire, les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) sont devenus en l’espace de quelques décennies des acteurs incontournables du fonctionnement économique et social. Ils exercent des situations de quasi-monopoles dans chacun de leur secteur d’activité :

  • Google contrôle 92,7% de l’activité « moteur de recherche » en octobre 20201
  • La part de marché d’Amazon sur le e-commerce est de 14% au niveau mondial, mais de 39% aux Etats-Unis et 22% en France (selon Kantar. D’autres sources évaluent à 54% la part de marché d’Amazon sur le e-commerce en France)2.
  • À eux deux, Google et Apple contrôle 99,4% des systèmes d’exploitation et applications mobiles (76% pour le seul système Androïd appartenant à Google)1
  • La part de marché mondiale de la publicité en ligne cumulée de Facebook et Google est de 51,3%.
  • Un site Internet sur 3 dans le monde est hébergé dans un Datacenter Amazon. Amazon Web Services contrôle 49% du marché mondial du stockage de données2.

Les GAFAM ont des comportements de prédateurs. Ils s’exonèrent des réglementations internationales et étatiques (droit du travail notamment). Ils développent des pratiques anti-concurrentielles, pour capter l’essentiel de la richesse créée par le numérique. Ils refusent de contribuer au bien commun et aux services publics, en pratiquant une évasion fiscale systématique, en refusant de payer l’impôt, et en imposant dans la plus grande opacité leurs modèles et règles aux dirigeant.e.s, élu.e.s, administrations étatiques et collectivités locales. Partout dans le monde, les autorités publiques se sont laissées prendre de vitesse par les GAFAM, dont le poids économique et politique est devenu tel qu’il met en danger non seulement les équilibres sociaux et environnementaux, mais aussi les libertés individuelles et publiques et le fonctionnement démocratique de nos sociétés.

Nous assistons dans une indifférence généralisée à une mutation inquiétante du capitalisme vers un capitalisme de surveillance, où, sous l’impulsion des géants du web, la souveraineté du peuple est renversée au profit non pas au profit d’Etats autoritaires, mais d’une industrie opaque, avide et toute puissante3.

Les Etats et la Commission européenne commencent à prendre conscience des dangers que les GAFAM font peser sur les systèmes économiques et démocratiques. Mais les mesures restent dérisoires et les procédures longues. Les montants des amendes financières sont sans commune mesure avec les préjudices subis par les consommateur.triice.s et les États. Par ailleurs, les critiques envers les GAFAM venant d’économistes et politiques libéraux se restreignent à la situation de monopole et « la concentration trop importante [qui] n’est pas bonne pour l’innovation et donc, in-fine, pour le consommateur. » (Cédric O, cité par Le Monde le 07 décembre 2020). Les impacts écologiques, climatiques et sociaux ne sont en revanche que peu inscrits dans les préoccupations des dirigeant.e.s. Fabriquer des ordinateurs ou des smartphones implique une industrie extractiviste (or, coltan, terres rares, etc.) qui détruisent l’environnement des populations qu’elles exploitent et chassent de leurs terres, accélèrent la déforestation et le réchauffement climatique, principalement en Afrique et Amérique latine.

Pourtant, le numérique serait à l’origine de 3,7 % des émissions totales de gaz à effet de serre (GES) dans le monde (2018) et de 4,2 % de la consommation mondiale d’énergie primaire. 44 % de cette empreinte serait due à la fabrication des terminaux, des centres informatiques et des réseaux, et 56 % à leur utilisation. La consommation d’énergie par le numérique pourrait s’accroitre de 60% d’ici à 2040 si rien n’est fait pour freiner son développement4.

Peu enclins au respect de règles pouvant entraver leur développement, les GAFAM sont en revanche extrêmement sensibles aux pressions de leurs client.es, de la société civile et de leurs propres salarié.e.s. Depuis deux ans, Google, Amazon, Apple et Microsoft multiplient les annonces en faveur de l’environnement : investissements massifs dans les énergies renouvelables, soutien à des associations de reforestation, innovations technologiques pour réduire l’empreinte carbone, etc. L’enjeu de ce greenwashing est de ne pas perdre une clientèle jeune, ultra-connectée, et sensible aux questions environnementales et climatiques. Peu d’éléments tangibles permettent de se faire une idée de l’effectivité de la mise en œuvre de ces engagements et de leur réelle efficacité.

L’inquiétude grandissante de l’opinion publique américaine face au poids croissant des GAFAM dans la collecte d’informations, le stockage de données et sur les choix de consommation5 se traduit par la naissance d’un mouvement en faveur de leur démantèlement. Émergeant début 2019 dans l’équipe de campagne d’Elizabeth Warren, cette idée fait depuis son chemin et est envisagée dans un rapport d’octobre 20206 déposé par des membres démocrates de la chambre des représentant.e.s. Une plainte pour « entrave à la concurrence » a été déposée le 9 décembre 2020 par la Federal Trade Commission et 48 états américains contre Facebook.

Dans l’Union européenne, l’option du démantèlement ne figure pas dans le Digital Services Act en cours de discussion. La doctrine semble privilégier la régulation des pratiques, le partage des données, l’ouverture des plates-formes à la concurrence, et l’émergence de plates-formes européennes. Un récent rapport de l’OCDE montre que les fraudes massives à la TVA sont aussi pratiquées par l’entreprise française C-Discount.7

La question du démantèlement des GAFAM, et d’Amazon en particulier, ne peut être posée au niveau national. Elle nécessite un effet d’échelle, et devra être à minima discutée au sein de l’Union européenne.

La question du démantèlement est complexe. Pour construire une position qui puisse être défendue avec crédibilité et des chances sérieuses d’aboutir, nous devons entamer une réflexion de fond, en lien avec les associations, ONG et mouvements citoyen.ne.s, en s’appuyant sur des avis compétents d’économistes, de spécialistes de l’Intelligence Artificielle, de juristes, d’ingénieurs spécialisés sur les questions de consommations énergétique, d’historiens et d’anthropologues.

Le secteur de la vente en ligne est en pleine expansion et loin de la freiner, l’État facilite largement son implantation en France. La lettre de mission confiée fin septembre8 par le Gouvernement à des hauts fonctionnaires pour « garantir un développement durable du commerce en ligne et des entrepôts logistiques » indique d’emblée les recommandations à venir, et dévoile sa position : concrétiser le message d’attractivité adressé par le président de la République aux act.eur.trice.s du e-commerce. Sur l’ensemble du territoire français, on dénombre plus de 4 400 entrepôts logistiques de plus de 5 000 m2, occupant une surface de 78 km2, équivalente à la superficie de la ville de Strasbourg. En tout, ce sont 20 millions de mètres carrés qui sont occupés par des entrepôts logistiques en Ile-de-France, soit un quart du parc immobilier français.

La construction de centres de stockages de données (datas-centers), toujours plus gros et plus nombreux, pose des problèmes environnementaux, sociaux et démocratiques croissants :

  • Artificialisation croissante des sols
  • Alimentation en eau des sites, alors que la ressource se raréfie, et rejet d’eaux chaudes dans les nappes et cours d’eau
  • Consommation d’énergie et risque de submersion des réseaux électriques
  • Utilisation croissante de minerais rares
  • Sécurité des données stockées
  • Fracture numérique et dépendance aux outils numériques

Le modèle économique développé aujourd’hui par les GAFAM et l’industrie numérique est un symbole majeur d’un modèle poussant à consommer toujours plus. Ce modèle est destructeur de notre environnement commun, de nos emplois de proximité, de notre modèle social9. L’urgence climatique, l’urgence sociale et l’urgence démocratique commandent aujourd’hui qu’il soit mis un frein rapide au développement infini des GAFAM, à commencer par Amazon.

Pourquoi cibler prioritairement Amazon ?

Amazon a deux activités principales :

  • Le e-commerce
  • Le stockage de données (data centers)

Deux volets d’un même modèle économique, destructeur de l’environnement, des emplois de proximité, de notre modèle social. En permettant de stocker et d’échanger toujours plus de données numériques, Amazon favorise la création artificielle de besoins nouveaux, et l’émergence de technologies très consommatrices d’énergie et posant d’importants problèmes de contrôle démocratique sur leurs utilisations.

Des cinq GAFAM, Amazon emploie massivement une main d’œuvre peu qualifiée nombreuse dans ses entrepôts et centres de tris, tout en détruisant le plus d’emplois de proximité. Le non-respect récurrent du Code du travail, les conditions de travail imposées par Amazon (en particulier les cadences infernales) et les méthodes de management (comme par exemple l’incitation à la délation ou les menaces sur les délégués syndicaux) sont régulièrement dénoncées, y compris devant les tribunaux, par les syndicats et les diverses ONG. Dans un secteur où l’évasion fiscale est une règle de gestion, Amazon fait figure de championne toutes catégories : les impôts et taxes payés en France sont inférieures à 0,5,% de son chiffre d’affaires2.

En jouant sur ses 2 activités majeures, Amazon fausse gravement la concurrence dans le secteur de la distribution et installe son monopole sur ce secteur : l’activité d’hébergement de données, qui ne constitue qu’une faible part du CA d’Amazon, représente l’essentiel de ses marges, en augmentation constante (les revenus de cette branche sont passés de 4,6 milliards de dollars à 36 milliards entre 2014 et 2019)10. Ces marges sont telles qu’Amazon peut se contenter de bénéfices insignifiants sur l’activité de e-commerce, voire se permettre de ne pas être rentable sur cette activité. Le concept de livraison garantie en 24 heures implique une logistique de flux aériens et routiers considérables, qui génèrent de la pollution et des émissions de GES tout aussi considérables. Amazon s’apprête à doubler en 2021 sa capacité de stockage en France, avec en projet 8 à 11 entrepôts (Augny-Metz, Belfort, Dambach-la-Ville, Fournès, Petit-Quevilly-Rouen, Nantes, Briec …) et centres de tris supplémentaires.

Le boycott d’Amazon est un levier indispensable mais insuffisant : il fait porter la responsabilité du développement d’Amazon (et des autres acteurs du e-commerce) sur les consommateur.ice.s et élude, s’il n’est pas présenté dans un ensemble stratégique, la responsabilité d’un système de gouvernance et d’un modèle de développement. Contrairement à ce que portent les tenants des doctrines déterministes de l’économie, les consommateurs ne sont pas responsables du développement d’Amazon. Le boycott est identifié dans l’analyse risque/opportunité d’Amazon, qui y répond de 2 manières : mettre en concurrence les territoires et se placer comme acteur indispensable à plusieurs échelles et dans plusieurs secteurs (vente, logistique, soutien aux PME du e-commerce, énergie, internet, éducation). Le boycott total est quasi impossible.

Motion

Le Conseil fédéral de EELV :

  • Réaffirme qu’un autre modèle de société que celui imposé par les GAFAM existe, que nos exigences citoyennes et celles des dirigeant.e.s de notre pays et de ses collectivités locales en matière de développement économique et d’aménagement doivent aujourd’hui se porter massivement et rapidement vers la sobriété. La lutte contre le changement climatique peut créer des millions d’emplois. Nous devons arrêter d’utiliser l’argent public dans la création de plates-formes logistiques massives et dans le soutien de fait au développement des géants du e-commerce ;
  • Soutient et exige que soit mis en œuvre immédiatement le moratoire demandé par la convention citoyenne et de nombreu.x.ses citoyen.ne.s sur les chantiers en cours et projets d’implantation de plates-formes logistiques sur le territoire français ;
  • Demande la création d’une mission d’étude sur les impacts du stockage de données informatiques sur le climat, l’environnement et l’accès aux ressources naturelles et énergétiques, en lien avec les ONG expertes sur cette question ;
  • Exige qu’aucune nouvelle implantation de centre de stockage de données (Datacenter) ne soit autorisée en France avant que ne soient publiés et validés les résultats de cette étude ;
  • Exige l’intégration par les entreprises du stockage de leurs données dans le cloud dans le calcul de leur empreinte carbone ;
  • Soutient la demande d’une taxe exceptionnelle sur le chiffre d’affaires des géants du e-commerce, dont les profits ont explosé pendant la période de crise sanitaire, et en reverser de manière compensatoire une partie aux populations autochtones victimes de l’industrie extractiviste et flécher une partie de ces ressources vers la recherche et l’éducation supérieure en Europe dans le domaine du numérique et la lutte contre l’illectronisme.
  • Exige que soit mis en œuvre un plan de lutte immédiat contre la fraude à la TVA, par, notamment :
    • la mise en place du prélèvement de la TVA à la source
    • le renforcement des moyens humains de l’administration fiscale
  • Décide de la création d’un groupe de travail pour :
    • documenter, préparer et argumenter les propositions de loi de démantèlement des GAFAM. Le groupe de travail devra avoir terminé ses travaux pour débat en Conseil fédéral avant l’été 2021. Il devra se coordonner avec les commissions « Europe », « Énergie », « Économie », « Numérique » et « Transnationale » ;
    • organiser et porter la réflexion de fond du parti sur les conséquences environnementales, sociales, sociétales et économiques de l’industrie du numérique, dont, notamment, l’émergence du capitalisme de surveillance , en anticipant les conséquences économiques d’une diminution du numérique et du poids des Gafam dans les pays où l’extractivisme a été imposé comme l’activité principale.

Notes et sources :

1-https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/12/07/peut-on-encore-domestiquer-les-gafa_6062428_3234.html

2- source : Les Amis de la Terre

3-https://www.zulma.fr/livre-lage-du-capitalisme-de-surveillance-572196.html

4-https://www.liberation.fr/terre/2020/12/14/les-geants-de-la-tech-sont-ils-aussi-ecolos-qu-ils-le-pretendent_1807665 https://www.ademe.fr/impact-spatial-energetique-data-centers-territoires-l

5-FINAL-CR-survey-report.platform-perceptions-consumer-attitudes-.september-2020.pdf (consumerreports.org)

6-Report-Competition-in-digital-markets-Judiciary-Antitrust-Subcommittee-06-10-20.pdf (editionmultimedia.fr)

7-https://france.attac.org/nos-publications/notes-et-rapports/article/note-amazon-cdiscount-ebay-wish-fraude-massive-a-la-tva-sur-les-places-de

8-SScanEmail20090915530 (reporterre.net)

9-http://www.kavalacapital.com/content/20201201-Rapport_ecommerce.pdf

10-https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/aws-le-nuage-en-or-damazon-1159890