Le gouvernement français, à l’instar de ses voisins européens a commencé à travailler sur une application de backtracking, à la demande du Président de la République. Des travaux préalables ont été menés par M. Mahjoubi qui exploraient les différentes options [1]. L’application voulue par le Président doit permettre le backtracking, c’est-à-dire tracer l’ensemble des contacts qu’une personne a eu dans les 14 jours avant sa contamination. Ces personnes doivent ensuite être prévenues, pour être confinées voire testées. Le gouvernement a déjà déclaré qu’une telle application serait open-source et utiliserait le chiffrement des données — chaque mobile changera d’alias plusieurs fois par jour pour qu’il soit impossible d’identifier une personne à partir d’un ou plusieurs de ses alias. Sur la dimension technologique, ces conditions prennent une tournure acceptable : le code open source pourraient être vérifié et d’éventuelles failles découvertes et corrigées. Le chiffrement et les multiples alias sont une des conditions pour qu’une telle application soit conforme au droit européen et au droit français de protection des données, notamment médicales des citoyens. L’absence de géolocaliion est aussi un préalable à cette acceptabilité. Pour autant, il faut refuser fermement la création par le gouvernement — et plus encore par les mastodontes du numériques que sont Apple et Google — d’une telle application.
Le problème est en amont
Le fait que l’application ne viole pas ouvertement le règlement européen pour la protection des données ne doit pas suffire à laisser penser qu’une telle application est souhaitable. Elle doit être rejetée pour plusieurs raisons :
D’un point de vue scientifique, d’abord : une telle application n’a pas prouvé son efficacité. Aucune étude scientifique n’a observé que l’adoption d’une telle application dans la réalité ait permis de trouver une solution à l’engorgement des hopitaux ou de faire baisser le taux de mortalité d’une maladie comme le COVID-19. Par ailleurs, le backtracking, pour être efficace, doit être largement adoptée, notamment par les populations à risque. Les personnes les plus agées, qui sont les plus touchées par le COVID-19, sont aussi les moins équipées en smartphones. Les enfants, qui pourraient être porteurs sains, ne le sont que très peu. À Singapour, l’adoption d’une application similaire à celle envisagée en France a été inférieure à 20% de la population [2]. Il faudrait donc imposer à tous l’usage d’une telle application pour seulement entretenir l’espoir qu’elle fût utile. Il est aussi à craindre un nombre considérable de faux-positifs, c’est-à-dire des gens prévenus par l’application qu’ils ont croisé une personne contaminée alors que la distance ou la configuration des lieux assure la sécurité des personnes (par exemple des appartements mitoyens dont les habitants ne se croisent jamais).
C’est aussi du point de vue des libertés civiles qu’une telle application doit être refusée. Car pour atteindre un taux d’adoption massif, d’autres décrets pourraient être pris ensuite (dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire), pour conditionner certaines pratiques sociales — travailler, prendre les transports en commun, etc. — à l’usage de l’application, excluant de fait les personnes non munies de smartphones. Par ailleurs, une telle application pourrait être imposée formellement ou non par les employeurs, les commerces, etc. et la contrainte sociale entretenue par la peur [3].
Une réponse écologique à la crise actuelle ne passera pas par le solutionnisme numérique
Cette crise a fait de nombreux morts à travers le monde et ce virus n’est ni le premier ni le dernier : d’autres virus ces dernières années ont muté et été transmis d’animaux à l’homme et de très nombreuses victimes sont à déplorer dans d’autres régions du monde. De nouveaux virus pourraient réapparaitre du fait du réchauffement climatique, ou muter du fait de la proximité renforcée de l’humain à certaines espèces sauvages de par la destruction de leurs habitats naturels, etc. En plus des évidences (diminuer la pression de l’humain sur le reste nature, améliorer les services publiques de santé, la coopération internationnale et la recherche ouverte) il nous faut concevoir que la fuite en avant technologique ne pourra pas apporter de réponse à ces épidémies. Le numérique n’est pas une solution en soi [4]
La solution politique ne passera pas par une délégation à des machines de notre capacité à gouverner. À écouter le Gouvernement et ses homologues européens, dans le domaine de la lutte contre le COVID-19 et à l’instar des politiques migratoires ou anti-terroristes, il faut toujours aller un cran plus loin pour qu’enfin la voie liberticide dans laquelle les politiques publiques s’obstinent à échouer depuis 30 ans devienne miraculeusement efficace et démocratique. Derrière les algorithmes se cachent des choix politiques et moraux des États ou les entreprises qui les développent. Derrière une application pour limiter les effets de la propagation, l’État dissimule aujourd’hui qu’il a failli à entretenir des stocks de secours, à assurer des filières locales de matériel médical et la production de médicaments, à écouter la détresse du personnel hospitalier en grève depuis un an.
Nous affirmons qu’une politique écologiste de lutte contre le COVID-19 ou tout virus qui lui succèdera ne passera pas par une délégation au numérique de la gestion de nos erreurs, mais bien par la prévention des risques, le renforcement des services publiques de santé, la coopération internationnale et la recherche ouverte [5] — qui tous sauront mobiliser les outils numériques à bon escient, bien plus que par le traçage de la population. Une utilisation plus efficiente des ressources qui passe aussi par l’augmentation de la durée de vie moyenne des produits électroniques, contribuera aussi à diminuer la pression de l’humain sur le reste de la nature et certainement à diminuer le nombre de transmission de virus animaux à l’homme.
D’un point de vue politique enfin, cette application ne doit pas être adoptée sans vote du Parlement [6]. Un débat seul, sans vote, vise à éviter que même les parlementaires de la majorité présidentielle ne votent contre : Plusieurs d’entre eux ont déjà fait des déclarations dans ce sens [7].
[7] https://www.lejdd.fr/Politique/le-depute-en-marche-sacha-houlie-tracking-geolocalisation-pourquoi-je-suis-contre-3960386, http://www.leparisien.fr/politique/tracage-numerique-il-est-faux-de-penser-que-big-brother-peut-nous-sauver-juge-stephane-sejourne-07-04-2020-8295912.php#xtor=AD-1481423553, https://www.lefigaro.fr/vox/politique/tribune-de-15-deputes-nous-avons-besoin-d-un-depistage-massif-pas-d-un-pistage-massif-20200408