Ce jeudi 18 septembre, les députés réunis à l’Assemblée Nationale ont finalement voté le projet de loi de « lutte contre le terrorisme », malgré une mobilisation importante de nombreuses associations de défense des droits fondamentaux, dont la Ligue des Droits de l’Homme, le Syndicat de la Magistrature ou encore Reporters sans Frontières (1).
Les raisons objectives de s’inquiéter sont nombreuses :
- L’administration, c’est-à-dire l’État, pourra désormais exiger la censure de sites internet, auprès des Fournisseurs d’Accès, sans autorisation judiciaire préalable ;
- Un nouveau délit « d’entreprise individuelle de terrorisme » est instauré, permettant de poursuivre une personne qui ne se sera pas encore rendue coupable d’autre chose que de propos tenus ;
- Un citoyen français pourra se voir interdire la sortie du territoire s’il « projette des déplacements à l’étranger ayant pour objet la participation à des activités terroristes » ;
- La « provocation ou l’apologie du terrorisme » n’est plus du ressort des libertés de la presse, mais devient un délit inscrit au Code pénal.
Pendant les trois petites journées de débat à l’Assemblée Nationale, dans le cadre d’une « procédure accélérée » (qui, en elle-même, pose déjà question), le groupe des députés écologistes a proposé une trentaine d’amendements, pour tenter de revenir sur les mesures les plus liberticides. Seulement 4 de ces amendements ont été adoptés, le plus important concernant l’interdiction de sortie du territoire, qui devra être « écrite et motivée », ce qui n’était même pas prévu dans le projet de loi initial (2). Au final, le texte a été adopté par l’ensemble des groupes politiques, excepté les écologistes. Seuls trois élus se sont abstenus, les députés écologistes et le député UMP Lionel Tardy, dans un hémicycle par ailleurs fort peu fourni.
L’inefficacité technique de certaines de ces mesures a déjà été soulignée par de nombreux experts, dont le Conseil National du Numérique (3). Une fois de plus, les députés semblent faire preuve d’une ignorance certaine des défis techniques posés par les technologies numériques. Mais surtout, ces mesures, sous prétexte de lutte contre le terrorisme, vont à l’encontre de plusieurs principes démocratiques et républicains : la séparation des pouvoirs, la liberté d’expression et d’opinion, la liberté de circulation des citoyens. Et à aucun moment des débats, cette notion de terrorisme n’a été précisée, comme si les titres sensationnalistes d’une certaine presse suffisaient à en définir les contours et les limites une fois pour toutes. Pourtant l’histoire récente montre que le qualificatif de « terroriste », à géométrie très variable, peut devenir une véritable arme de censure. Certains pays ne se gênent absolument pas pour faire passer l’activisme contestataire, ou les choix éthiques faits par des lanceurs d’alertes au risque de leur propre liberté, pour des faits de terrorisme.
Avec cette loi, demain, n’importe quel activiste pourrait voir sa parole baillonnée, notamment sur Internet, parce que le gouvernement ou l’administration auront jugé que ses déclarations ou ses actes revêtent un caractère « terroriste ». Alors qu’on enquête encore sur la débâcle judiciaire de l’affaire Tarnac, si demain la justice n’intervient pas dans la décision, qui pourra empêcher l’État de qualifier de terroristes des contestations populaires et citoyennes ? Les appels à la désobéissance civile, par exemple dans le cadre de la lutte contre les « Grands Projets Inutiles » qui menacent la qualité de vie et l’environnement, passeront-ils désormais pour des « incitations au terrorisme » ? Au Canada, le gouvernement est en train de franchir ce pas, en considérant l’activisme écologique comme une menace terroriste à part entière (4). Bientôt aussi en France ?
La notion de « terrorisme » devient donc une arme plus efficace que jamais pour faire taire les contestations populaires. Et dans ce processus, l’État semble être considéré, en toutes circonstances, comme vertueux, quelle que soit la coloration politique de ceux qui sont au pouvoir. C’est une vision particulièrement paternaliste de la République, dans laquelle le citoyen, ce grand enfant, doit être protégé, même au prix de sa liberté.
La commission Partage 2.0 dénonce ce virage sécuritaire du gouvernement, virage qui n’a rien à envier à celui pris par les Etats-Unis au début des années 2000 lorsque le Patriot Act y fut voté. Sous prétexte de sécurité, c’est la démocratie qui recule aujourd’hui.
Références :
(1) Liste des soutiens à l’intiative « Présumés Terroristes » : https://presumes-terroristes.fr/soutiens.html
(2) Amendement du groupe écologiste adopté : http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/2173/AN/2.asp
(3) Conseil National du Numérique, avis sur le projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme : http://www.cnnumerique.fr/terrorisme/
(4) Anti-terrorism law to name ecologists as threat : http://sgnews.ca/2012/06/05/anti-terrorism-law-to-name-ecologists-as-threat/
Article rédigé par Grégory Gutierez et les membres du bureau de la commission Partage 2.0.